Un des plaisirs offerts par la vie dans le Sud est celui d'aller à la Riviera hors saison. L'idée donc "de m'y attarder dans la langueur d'un août finissant" avait quelque chose de paradoxal.
Mais ayant trouvé, les fois précédentes, portes closes devant le Bar du Belles rives - baptisé Fitzerald en hommage à l'hôte qui créa littéralement cette adresse mythique de la Côte d'Azur -, j'ai tenté, cet été, l'expérience en haute saison.
Derrière les persiennes, dans la fraîcheur du bar, le charme était bien là...
Affiche issue du site Hotel Belles Rives
La Côte d'Azur devient, au début des années 1920, un refuge où les membres de la «Génération perdue» (parmi eux Scott Fitzgerald, John Dos Passos ou Ernest Hemingway) recréent un monde de perfection, protégé et oisif, comme pour retrouver l'innocence perdue par la Grande Guerre.
Ils
suivent les pas de Gérald et Sara Murphy, couple américain fortuné
et très proche des intellectuels de l'époque, qui découvrit dés
le début de cette décennie la beauté et le calme du Cap d'Antibes. Les deux tombent immédiatement sous le charme de ce bout de côte
protégé et découvrent le plaisir et les bienfaits des bains de
soleil et de la mer tel que le décrit l' écrivain John
Dos Passos dans son récit autobiographique « La Belle vie » :
«Gerald
avait le flair d'un beau Nash pour faire des découvertes qui
devenaient peu après le dernier cri de la mode. Tout ce que je
savais d'Antibes était que Napoléon y avait débarqué après son
évasion de l'île d'Elbe. Depuis il ne s'y était presque rien
passé. Les Français et les Britanniques cossus qui fréquentaient
la Riviera en hiver seraient morts plutôt que d'y être vus en été.
L'endroit leur paraissait trop chaud, mais à nous Américains, la
température nous semblait parfaite, les bains délicieux et Antibes
était le petit port provincial vierge que nous avions rêvé de
découvrir. Le culte du soleil commençait à peine».
Les Murphy vont même convaincre les dirigeants de l'hôtel du Cap d'ouvrir désormais quelques semaines en été, provoquant ainsi un véritable changement de moeurs. C'est le début du tourisme estival sur la Côte d'Azur... Ils finiront par acquérir une maison, la Villa America où ils recevront leurs amis et connaissances.
Parmi eux, Scott et Zelda Fitzgerald, qui selon le même Dos Passos, par ailleurs clairvoyant sur ses contemporains, vouent une sorte d'envieuse admiration aux Murphy, quintessence de cette beauté, de ces aptitudes sociales et de cette souveraine décontraction que permet l'aisance financière qui se refuse obstinément à eux :
« A
cette époque, Scott et Zelda étaient des familiers du lieu. Scott,
avec sa faculté d'adoration, se mit à porter un culte à Gerald et
à Sara. Le couple doré que Scott et Zelda rêvaient de faire,
existait réellement. Les Murphy étaient riches. Ils étaient beaux.
Ils s'habillaient avec brio. Ils connaissaient les arts. Ils avaient
un don pour les réceptions. Is avaient des enfants adorables. Ils
avaient atteint le barreau supérieur de l'échelle humaine. C'était
la fortune personnifiée.»
John
Dos Passos « La Belle vie »
Fasciné,
Scott s'inspirera du couple Murphy pour bâtir quelques un des traits
des personnages principaux de son roman "Tendre est la nuit",
Dick et Nicole Diver.
«_ Vous aimez cet endroit?
_ Peuvent pas faire autrement, murmura Abe North. Ils l'ont inventé. Il tourna lentement la tête et son regard se posa sur Dick et sur Nicole, avec un sincère et tendre affection.
_ Inventé? Comment ça?
_C'est la seconde année seulement que l'hôtel reste ouvert en été, expliqua Nicole. L'an dernier nous avons réussi à persuader les Gausse de ne garder qu'un cuisinier, un concierge et un chasseur.Ça a marché. Cette année ça marche encore mieux...
_ L' idée de départ est très simple, intervint Dick Diver, en modifiant l'inclinaison d'un parasol, pour chasser un rayon de soleil qui effleurait l'épaule de Rosemary. La plupart des plages du nord, comme Deauville, sont envahies l'été par des anglais ou des russes , qui se moquent éperdument d'avoir froid. Alors que nous autres, américains, nous appartenons, pour moitié à des régions de climat tropical. C'est pour ça que nous commençons à venir ici.»
«_ Vous aimez cet endroit?
_ Peuvent pas faire autrement, murmura Abe North. Ils l'ont inventé. Il tourna lentement la tête et son regard se posa sur Dick et sur Nicole, avec un sincère et tendre affection.
_ Inventé? Comment ça?
_C'est la seconde année seulement que l'hôtel reste ouvert en été, expliqua Nicole. L'an dernier nous avons réussi à persuader les Gausse de ne garder qu'un cuisinier, un concierge et un chasseur.Ça a marché. Cette année ça marche encore mieux...
_ L' idée de départ est très simple, intervint Dick Diver, en modifiant l'inclinaison d'un parasol, pour chasser un rayon de soleil qui effleurait l'épaule de Rosemary. La plupart des plages du nord, comme Deauville, sont envahies l'été par des anglais ou des russes , qui se moquent éperdument d'avoir froid. Alors que nous autres, américains, nous appartenons, pour moitié à des régions de climat tropical. C'est pour ça que nous commençons à venir ici.»
Francis
Scott Fitzgerald "Tendre est la nuit"
Zelda et Francis Scott Fitzgerald et leur fille Scottie 1927
Pour
Scott, son séjour au Cap, à la Villa Saint-Louis (qu'il louera
entre 1925 et 26 et qui deviendra dès 1929 l'actuel Hôtel Belles
Rives), offre une parenthèse enchantée. Il y connaîtra des moments
de paix et de bonheur, avant que ne s'amoncèlent les problèmes
d'argent, les demis échecs éditoriaux et surtout, les ombres dans
l'esprit malade de Zelda:
"Avec
notre retour dans une belle villa sur ma Riviera adorée, je suis
plus heureux que je ne l'ai été depuis des années. C'est l'un de
ces moments étranges, précieux et trop éphémères lorsque tout
dans sa vie semble aller bien"
Francis
Scott Fitzgerald (citation de
l'écrivain de 1926 inscrite dans le hall de l'Hôtel Belles Rives).
La présence des Fitzgerald ne contribuera pas peu au mythe naissant d'une Riviera vouée aux avant-gardes – et plus seulement aux vanités mondaines du gotta de la vieille Europe, quand bien même leurs excès éthyliques les privent à plusieurs reprises de la compagnie d'hôtes qui goûtent peu leurs outrances guidées par l'angoisse et la boisson.
A cette époque, la génération perdue cultive un art de vivre fait de petites migrations/escapades oisives et festives, essentiellement entre compatriotes... En effet, bénéficiant d' un taux de change très favorable (33 francs pour un dollar en 1919, près de 20 encore au milieu des années 1920), le mode de vie de ce cercle d'expatriés privilégiés est très confortable, sinon dispendieux...
«Je n'aimais guère le genre de grande réception que les Murphy avaient adopté à cette époque. J'étais timide (…) Mais il me fallait reconnaître qu'ils dépensaient leur argent avec élégance et profusion. Personne n'organisait des soirées plus amusantes..."
John Dos Passos "La belle vie"
Pour
la première fois, prenant pied sur un continent où cela ne
constitue pas une infamie, une génération d'auteurs américains
prend le luxe d'assumer un statut d'artiste, loin d'un pays voué à
la réussite matérielle et à l'entertainment comme industrie.
Du
reste, ils sont ponctuellement rejoints dans leurs refuges européens
par les premières gloires d'Hollywood... Si certains, comme
Hemingway, n'envisagent la Riviera que comme une escale entre deux
amours (Le Jardin d'Eden), lui préférant les émotions fortes des
courses de taureaux en Espagne ou l'excitation des courses de chevaux
et du vélodrome d'hiver à Paris, elle n'en concentre pas moins
mécènes et hôtes de haute volée pour tout ce que l'Europe compte
de créateurs (voir post sur la Villa Noailles 24 juillet 2012).
Couverture du livre "Tendre est la nuit" de F.Scott Fitzgerald
Introduction Charles Scribner 1995
http://www.barnesandnoble.com
Mais
en 1929, lorsque survient le krach, la fête est finie: les membres
de la "Génération perdue" retournent progressivement en Amérique...
Non sans avoir laissé une empreinte sur cette Riviera qui leur doit
tant... mais dont ils se trouvent si vite dépossédés, alors que le
tourisme de masse est encore loin...
«Les
Diver s'installèrent sur la plage, elle en robe blanche, lui en
short blanc, d'un blanc d' autant plus éclatant qu'ils étaient
plus bronzés. Nicole remarqua que Dick cherchait aussitôt des yeux
le enfants(...)dans l'entassement des formes confuses et la pénombre
des parasols. Elle cessa un instant de penser à elle, de s'inquiéter
pour elle et prit un léger recul pour mieux l'observer. Elle comprit
que s'il cherchait les enfants,(...) c'était moins pour les protéger
que pour qu'ils le protègent. Comme si cette plage lui était
hostile. Comme un souverain détrôné qui viendrait en secret
visiter son ancien royaume...elle le laissa donc regarder cette
plage, sa plage, complétement dévoyée aujourd'hui par le goût des
gens qui n'en avaient aucun.»
Francis Scott Fitzgerald "Tendre est la nuit"
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Crédit photos // SLAVIA VINTAGE
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