Prochaine ouverture du Festival de Cannes le 15 mai : "The Great Gatsby" de Baz Luhrmann... Fitzgerald retrouve la Côte d'Azur qui tant l'inspira et Gatsby revient.
Gatsby
revient toujours.
Parce qu'il est un
archétype : celui d'un « caractère », d'abord.
L'homme venu de nulle part, dont on ne sait rien ou presque, sinon
les ombres qui nimbent son passé de mystère, et parvenu si près du
sommet qu'il y tutoie ceux dont la naissance est en revanche aussi
limpide qu'un pédigrée de chat de race. Proximité factice,
évidemment, que trahissent des expressions trop old school pour
sonner juste, des manières excessives, une prodigalité
extravagante, insolente et finalement, vulgaire.
Le parvenu
magnifique, en somme, auquel on aime s'identifier dans son ascension
pour mieux le laisser choir et le plaindre dans sa déchéance.
Mais Gatsby est aussi
l'archétype – ou le paradigme – du roman parfait.
Idéal dans le
juste rapport entre son objet (une critique sociale acérée sans
être nouvelle), ses proportions, ramassées et concises et son
style cinématographique: ponctué d'accélérations
empruntées à la vitesse des années Folles et au jazz, bande son d'une décade prodigieuse...
Parfait aussi parce qu'il constitue la quintessence du talent de Scott Fitzerald. Une œuvre maîtresse, dans laquelle l'auteur prend d'avantage de distance avec les éléments auto-biographiques sans en abdiquer l'essentiel : la quête de légèreté et de flamboyance, l'amour obsessionnel d'une unique femme, l'absolue certitude de la disgrâce et le sentiment aigu de vanité.
Un roman
dans lequel Scott Fitzerald, qui vit alors sur la Côte d'Azur une
nouvelle crise avec Zelda (qu'il soupçonne – sans doute à tort,
de le tromper avec un aviateur français) distille son mal être
sans en garder les scories, telles que la propension à recycler
situations romanesques et expressions.
Ne reste que le diamant d'un
court roman, non dénué d’ellipses, qui allie une construction
savante du récit et des ruptures de rythme et licences
cinématographiques (des bribes de conversation, une luminosité
particulière, des tonalités éclatantes) si bien rendues dans la
version scénarisée par Coppola en 1974 et incarnée – au sens
propre, par Robert Redford.
Cette perfection ne
frappe pas les contemporains de l'auteur – hormis ses
coreligionnaires en écriture, tel Hemingway, qui lui pardonne tous
ses égarements et lui offre son amitié inconditionnelle le jour où
à l'issue d'une virée éthylique entre Lyon et Paris, il referme
Gatsby.
En 1922, le temps n'est pas encore venu pour un roman ciselé
pour le cinéma, dont l'industrie décolle à peine.
Les ellipses
déroutent le lecteur, de même que le point de vue choisi :
celui d'un narrateur à la fois proche et lointain. Ou encore
l'irruption tardive du héros : « Gatsby, c'est moi » page 81.
Gatsby est donc un échec commercial et
lorsque deux décennies plus tard, Scott Fitzerald entame Le dernier
Nabab, premier roman à conter l'ascension des majors de Hollywood,
il s'est déjà brûlé le cœur et les ailes :
« Son
talent était aussi naturel que les dessins poudrés sur les ailes
d'un papillon. Au début, il en était aussi inconscient que le
papillon et, quand tout fut emporté ou saccagé, il ne s'en aperçut
même pas. Plus tard, il pris conscience de ses ailes endommagées et
de leurs dessins, et il apprit à réfléchir, mais il ne pouvait
plus voler car il avait perdu le goût du vol et il ne pouvait que se
rappeler le temps où il s'y livrait sans effort ».
Ernest
Hemingway, Paris est une fête, Folio, p. 163.
J'ai découvert Jay
Gatsby encore adolescente, sous les traits de Robert Redford.
Je me
souviens de la lumière hamiltonienne - souvent si agaçante et
nocive pour la postérité de certains films des années 1970 - mais
ici idéale pour rendre l'atmosphère d'éternel crépuscule de cette
baie de West Egg, à Long island : concentré des différentes strates
de la bourgeoisie américaine, celle des descendants du
Mayflower et celle née au début de la prohibition, fortunes
rapides et suspectes des spéculateurs de Wall Street avant le krach
et des bootleggers.
Je me souviens aussi des tons clairs :
ceux des costumes de Gatsby créés par Ralph Lauren, de sa voiture reconnaissable entre toutes, convertie en arme de son
destin funeste, des chapeaux de Daisy... De la musique aussi, tantôt proche, tantôt lointaine.
Plus tard, ce que j'imputais alors aux qualités propres du film, j'en ai découvert l'essence dans le roman. Tout comme j'y ai retrouvé l'irritation que me procurais Daisy-Mia Farrow!
Si la très attendue adaptation de Baz
Luhrmann peut ne pas être à la hauteur du joyau qu'est le Grand Gatsby, à cause du goût excessif de ce réalisateur pour la flamboyance... (même si j'ai confiance dans le talent de Leonardo Di Caprio pour apporter de l'épaisseur au personnage), qu'importe!
Les romans de Fitzerald nous tendent les bras : Tendre est la nuit, désespéré et solaire, mais aussi Fragments du paradis, les Heureux et les Damnés ou la Fêlure, plus auto-biographiques : la quête, aussi flamboyante que vaine, de l'éternelle jeunesse d'un couple, ça vous rappelle quelque chose ?
Et
avec eux, tous ceux de la Génération perdue qui se font écho, dans
la quête éperdue de leurs auteurs d'un sens à leur vie, dans la
parenthèse vénéneuse et prolifique de l'Entre-deux guerres.