On
considère que la plupart des œuvres associées au futurisme, ce
mouvement littéraire et artistique né en Italie au début du XXème siècle de la fascination pour le bruit, le mouvement et la vitesse, propres à l’ère industrielle, ont été créées entre 1910 et
1915.
Né en 1914, Bohumil Hrabal en est peut-être l’œuvre
vivante la plus achevée. Comme les Futuristes, lui qui grandit dans
une fabrique de bière, était fasciné par les machines et le mouvement syncopé de la modernité.
Dans son roman La
Chevelure Sacrifiée – mon préféré -, la métaphore de l’ère
moderne qui s’annonce tient dans la chevelure de sa mère et tout
ce qui s’y rapporte : la mallette que son père, Francin,
ramène de Prague sur sa moto « de marque Orion » et qui
contient divers tubes de verre qui se remplissent d’une lumière
bleutée en actionnant un interrupteur, dont l’un, en forme de
brosse, lui permet de parcourir d’éclairs violets la longue
chevelure de sa femme bien-aimée ; les ondes courtes de la
radio qui soudain trône dans le salon, et annonce le
raccourcissement des distances ; le rythme syncopé du jazz qui triomphe à Prague, invitant du même coup les femmes à libérer
leurs jambes dans des jupes courtes et à raccourcir leurs cheveux à
la garçonne.
Collage de Karel Teige
Ainsi
Maryska, qui aime son mari mais n’a pas froid aux yeux,
sacrifie-t-elle sa chevelure sur l’autel de la modernité, signant
même une décharge en bonne et due forme au coiffeur qui craint le
sacrilège. Et le doux Francin, de retour sur sa moto, privé de la
compensation de cette chevelure abondante face aux tracas que lui
imposent les actionnaires de la Brasserie dont il a la charge, de
voir rouge...
Affiche de Joanna Gorska & Jerzy Skakun
Cette
fascination, on la retrouve dans d’autres nouvelles de Hrabal :
Jarmilka, qui évoque une cantinière des aciéries de Poldi, près
de Prague, où le régime communiste entend forger le nouvel « Homo
Sovieticus ». Hrabal, qui a travaillé à Poldi comme simple
ouvrier au début des années 1950, alors qu’il avait entrepris des
études de Droit, fait même de l’usine un personnage à part
entière dans La Belle Poldi. S’inspirant de l’art mécanique des
Futuristes, il rédige également La Mort de Monsieur Baltisberger,
qui conte une journée de course motocycliste sur le circuit de
Brno :
« Maman
se tient à un petit bouleau et se penche pour voir les coureurs
entrer dans les virages. Son cœur bat lorsque le foulard rouge
sillonne l’air comme une flèche (…) Quelque part dans les
feuillages, la radio annonce : ‘on nous annonce que
Baltisberger est passé le premier à une vitesse infernale et qu’il
est talonné par Kanner, également sur une NSU Sport-Max, et ensuite
par le sympathique Australien Brown, avec un kangourou sur son
casque ! En terrain plat, les coureurs atteignent le deux cents
à l’heure’ (…). Il ne manquait plus que ça, soupire l’homme
en chaise roulante, et lorsque le peloton approche, il a d’abord
peur de regarder, mais il ne peut pas s’en empêcher. Il fait corps
avec les machines qui filent et lorsqu’elles ont disparu derrière
le bois, il a l’impression qu’il ne les reverra plus jamais ».
"La Mort de Monsieur Baltisberger " Bohumil Hrabal, Les palabreurs, Paris : Le Livre de Poche, 1991, p. 191-211
La
nouvelle la plus symbolique de cette fascination pour les thèmes du
Futurisme, est sans doute Automat Svět – littéralement L’Automate
Monde -, ainsi baptisée en référence à un bâtiment
fonctionnaliste édifié en 1932 dans le quartier pragois de Bohumil
Hrabal, Libeň. « Monde » (Svět) était en réalité le
nom du promoteur propriétaire des lieux, qui hébergeaient un cinéma
du même nom et un buffet self-service, concept alors inconnu en
Europe.
Comme souvent dans les écrits de Hrabal, les lieux et les machines y acquièrent un caractère presque anthropomorphique, que l’on retrouve dans Trains étroitement surveillés et dans Une Trop Bruyante Solitude, où le héros, Franta, se confronte chaque jour au pilon qui broie les ouvrages interdits par le régime et au cruel dilemme quotidien qui consiste à ne sauver de ce moderne autodafé que quelques ouvrages précieux…
Comme souvent dans les écrits de Hrabal, les lieux et les machines y acquièrent un caractère presque anthropomorphique, que l’on retrouve dans Trains étroitement surveillés et dans Une Trop Bruyante Solitude, où le héros, Franta, se confronte chaque jour au pilon qui broie les ouvrages interdits par le régime et au cruel dilemme quotidien qui consiste à ne sauver de ce moderne autodafé que quelques ouvrages précieux…
Lorsque je parcoure Prague ou la Moravie, je me laisse souvent guider par ces nouvelles. Au pied du Monde Automat, qui dresse toujours sa carcasse abandonnée à un carrefour des faubourgs de Prague, attendant un hypothétique sauvetage par son propriétaire Italien hypocondriaque et velléitaire – lui-même digne d’une nouvelle –, dans les tavernes de la Vieille-ville où trônent encore les portraits du Maître, comme sur les bords du circuit de Brno, où j’assiste aux courses de motos du mois d’août.
Il y a quelques années, mon Francin à moi m’avait ramené sur sa moto – de marque Triumph -, ce même objet avec lequel le héros de la chevelure sacrifié parcoure la chevelure de sa femme. Craignant l’électrocution avec cet appareil en vogue dans les années 1930, nous nous sommes contentés d’observer dans l’obscurité, la couleur bleutée de l’arc électrique dans les tubes de verre.
Photo de Jaromir Funke
Si vous aimez l'univers de Bohumil Hrabal et le futurisme,
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