En un temps reculé, il nous arrivait vers la fin de l'hiver, d'embarquer à bord d'un avion vers une destination nouvelle, sur la foi d'une rencontre au hasard, d'un film ou d'une lecture. Ou bien simplement parce que nous gardions le souvenir ému d'un kapachuri brûlant mangé avec les doigts dans un entresol à Kiev. C'est ainsi qu'à la mi-février, je survolais les Balkans enneigés sous le soleil, doublant Sarajevo enserrée entre ses collines mortifères, traçant l'ombre d'un condor sur les montagnes bulgares avant de prendre l'orbite d'un satellite au-dessus de la Mer jamais aussi noire que dans cette nuit sans lune.
Ayant atterri au pied du Caucase, je fendais la neige qui tombait à gros flocons sur un taxi certainement expédié par des cousins de la côte Est des Etats-Unis, me conduisant à Kutaissi. Aujourd'hui une ville endormie de Georgie, jadis la capitale de la province mythique de Colchide, celle où Jason et les Argonautes vinrent faucher la Toison d'Or. Là, dans le bazar digne de Samarkande où les grenades entrouvertes hésitaient entre le gel et le soleil entre deux grappes de paprika, je faisais mes gammes caucasiennes, déchiffrant les caractères d'une langue emprunte de mystère, révisant mes classiques culinaires aux saveurs de coriandre et dérouillant mon russe dans les matrushkas bondées. Entre deux icônes et Ladas rouillées, la Georgie révélait son goût pour les belles choses et des sommets une eau turquoise courrait vers la mer entre les citronniers coiffés de neige, nous promettant un printemps chaud et un été alangui.
C'était il y a trois mois, presque jour pour jour, une éternité.
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