jeudi 7 septembre 2017

Acheron - Design funéraire tchèque

Je vous avais laissés trop longtemps, je sais : maxima mea culpa, sur la noirceur des destins entremêlés des habitants d'une cité polonaise au seuil des années 1990. Qu'à cela ne tienne, je me rattrappe avec une rentrée design allègre ce jeudi 7 septembre au Centre Tchèque à Paris. Celui-ci vous convie au vernissage de l'exposition "Acheron", dédiée... au design funéraire.



Allons bon, me direz vous, pas de quoi vous détourner de vos résolutions de la rentrée. Erreur! Non seulement l'expo, qui se prolongera jusqu'au 30 septembre, s'inscrit dans la Design Week, mais elle renvoie aussi à un pan inattendu et méconnu du design et de l'architecture moderne.

Car si de jeunes designers tchèques (Roman Kvita / Linda Vávrová / Sebastian Sticzay / Zuzana Knapková / Martin Chmelař) se sont ainsi penchés sur le dessin d'urnes funéraires, ce n'est nullement par hasard. Depuis les années 1920, les pays tchèques vouent un culte (païen) à la crémation, littéralement entrée dans les moeurs, au point qu'on lui doit outre les artefacts des designers sus-mentionnés, un chef d'oeuvre du cinéma du XXe siècle!




On rembobine : 1918, la Tchécoslovaquie devient indépendante, sur les ruines de l'Empire Austro-Hongrois. Du passé - marqué par la domination autrichienne issue de l'écrasement de la réforme protestante au XVIIe siècle, la jeune nation entend faire table rase. Côté tchèque, cela passe par une sécularisation poussée de la société : les églises, symboles de l'ancienne puissance tutélaire, se vident irrémédiablement, la constitution proclame l'égalité des femmes et des hommes, on ressuscite la vieille église des frères tchèques issue des hérétiques hussites du Moyen-âge et le Président-philosophe Tomáš Mazaryk installe dans sa villa officielle sa femme américaine et féministe, épousée sous le rite unitarien...



C'est alors que les Tchèques se prennent de passion pour le Livre des Morts Tibétain. Quoi de mieux, en effet, pour sceller les adieux à la très sainte église catholique et romaine, que de soustraire son âme aux affres du purgatoire en réduisant sa dépouille mortelle en cendres? L'engouement est tel, que le pays se couvre de crématoriums, modernes temples dédiés à l'esprit des temps nouveaux. 



Après la guerre, le nouveau pouvoir communiste, laïc et anti-catholique, ne trouve rien à dire à cette solution économique et iconoclaste, si bien que d'une mode touchant d'abord les élites culturelles, la crémation devient la norme. 

Dans les années 1960, l'un des joyaux de la Nouvelle vague du cinéma tchécoslovaque, celle des Miloš Forman ou Jiří Menzel, revient ironiquement sur ce goût pour les crématoriums. L'incinérateur de cadavres, de Juraj Herz, avec l'excellent Rudolf Hrušínský dans le rôle du dénommé Kopfrkingl, met en scène un prospère adepte du Livre des morts tibétain, propriétaire d'un crématorium du dernier cri. Alors que la guerre approche, celui-ci se découvre opportunément quelques gouttes de sang allemand, avant que les occupants ne lui suggèrent de nouvelles perspectives...




Aujourd'hui, 75% des Tchèques choisissent d'être incinérés. Designers confirmés et jeunes créateurs se penchent avec engouement sur le projet Urny avec la volonté d'introduire beauté et modernité dans cet objet symbolique tout en traduisant la prise de conscience d'un héritage spécifiquement tchèque. Les aimants de Zuzana Knapkova permettant de matériellement relier les urnes des couples ou les poèmes en morse incorporés dans le verre de Roman Kvita en sont quelques unes des illustrations!