lundi 5 janvier 2015

Bohumil Hrabal (I) : l'arc en ciel entre l'Europe Centrale et l'Amérique Latine


2014 fut l’année du centenaire de la naissance à Brno, dans l’Empire Austro-Hongrois, de l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal, le plus traduit parmi ses compatriotes avec Jaroslav Hašek, l’auteur des Aventures du brave soldat Chveïk et Milan Kundera, entré dans la Pleïade de son vivant pour des écrits dans leur majorité rédigés en Français. 

Sans doute le moins célèbre des trois, Bohumil Hrabal est celui qui m’est le plus cher, parce qu’il fut mon premier contact avec la culture centre-européenne. Comme beaucoup d'adolescentes, mon auteur de chevet était Gabriel Garcia Marquez, j'aimais ses romans nimbés de magie et marqués par les destinées familiales, tout comme ceux d'Isabel Allende. Seulement voilà, Garcia Marquez, tout comme Julio Cortázar ou Carlos Fuentes, s’est rendu en Tchécoslovaquie. 


A l’occasion de leur séjour commun à Prague après l’invasion soviétique, en 1968, ils tissèrent des liens avec Milan Kundera, lui aussi natif de Brno. Lorsqu’au début des années 1980, celui-ci parvint à gagner la France, Carlos Fuentes officiait à Paris comme Ambassadeur du Mexique et Kundera, qui avait trouvé refuge à Rennes, se logeait chez lui à Paris. A cette occasion, les deux auteurs, que semblaient opposer leurs cultures et leur expérience de l’histoire, entreprirent un dialogue étonnant. 




Rapidement, Kundera se rendit compte de la proximité entre son « Europe Centrale et l’Amérique Latine : deux morceaux d’Occident situés aux extrêmes opposés ; deux terres oubliées, méprisées et abandonnées, deux territoires parias ; et les deux parties du monde les plus profondément marquées par l’expérience traumatisante du Baroque.

"Traumatisante, parce que le Baroque parvint à l’Amérique latine comme Art des Conquistadors, et à mon pays comme celui de la Contre-réforme, ce qui fit dire de Prague à Max Brod qu’elle était la cité du mal.Il s’agissait de deux parties du monde reliées par la mystérieuse alliance du mal et de la beauté. Nous discutions, et je voyais se tendre un pont argenté, éthéré, fragile mais rutilant par-dessus le siècle, comme un arc-en-ciel entre ma petite Europe centrale et l’immense Amérique latine ; un pont qui unissait les statues extatiques de Matyaš Braun à Prague et les églises défraîchies de Mexico ». *


*Milan Kundera pour le journal argentin La Nación, 2001, ma traduction depuis l’espagnol.





C’est sur cet arc-en-ciel que je voyage, entre ma culture ibéro-américaine, toute de magie et de drames, et les mystères de l’Europe centrale. Et Bohumil Hrabal fut mon premier guide. Lui qui dans son œuvre la plus connue, Moi qui aie servi le Roi d’Angleterre, imagine le voyage rocambolesque d’une délégation Bolivienne venue faire bénir par l’Archevêque une statue de l’Enfant Jésus de Prague, révéré dans toute l’Amérique Latine… et qui manque de repartir avec un faux. 

Lui, aussi, qui à l’occasion d’une cérémonie parisienne, se voit rendre un hommage paradoxal par son presque homonyme – prononciation aidant, Fernando Arrabal, curieux de rencontrer ce forban, ce personnage de petite taille, comme lui-même, aux mêmes yeux perçants qui lui a « volé l’esprit de Kafka », et jusqu’à son « propre nom » !





Illustration  : "La chevelure sacrifiée"


Ce « pont argenté » entre culture ibéro-américaine et Europe Centrale, tissé du même rapport à l’absurde, mille exemples en attestent l’existence : ainsi, l’année où disparut Bohumil Hrabal, en 1997, un ami accompagnait Fernando Arrabal dans les rues de Prague. 

Chargé de remettre une lettre au Président Havel de la part de Milan Kundera, celui-ci la gardait dans la poche de son pardessus, attendant simplement que « l’occasion se présente ». Après avoir fait le pied de grue devant une taverne du centre où Hrabal avait ses habitudes, l’invité homonyme se rendit à l’Ambassade de France à bord d’une voiture diplomatique. Soudain, le chauffeur lui glissa que la voiture qui venait de les dépasser était celle du Président. Arrabal donna l’instruction d’arrêter le véhicule présidentiel, au risque de l’incident diplomatique. Après une queue de poisson aventureuse, la voiture pila et deux gardes du corps en sortirent, ajustant leurs fusils mitrailleurs en direction des coupeurs de route. Arrabal rempocha sa missive et se réinstallant paisiblement, décréta : « ça n’était pas lui ».



Illustrations de l'artiste April Deacon


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