Dans la biographie un rien sombre de Lou Reed, disparu cette semaine à 71 ans, son admiration sans borne pour l'ancien Président tchèque Vaclav Havel, décédé en 2012, ne laisse pas de surprendre.
Peu amène avec ses contemporains - en particulier les journalistes, un peu trop enclins à lui tailler le costard un peu étroit de diva misanthrope, et guère porté sur le compromis artistique comme en atteste une oeuvre d'autant plus mythique qu'elle n'a jamais trouvé son public, le fondateur du Velvet Underground, le premier groupe punk de l'histoire, n'avait pas une âme de midinette.
Et pourtant, à l'instar des Rollingstones - Mick Jagger et Keith Richards au premier chef, et de Frank Zappa, il nourrissait une amitié indéfectible pour Vaclav Havel, dont témoignent ces lignes écrites lors de la disparition de ce dernier:
"I am beyond saddened at the loss of my dear friend and inspirational leader Pres. Havel. A man's man. A leader, thinker speaker writer and so brave. And funny and great. this is a terrible loss for this world and certainly for me personally. I will try to remember every last word and mental picture of this great great man who was necessary more than ever in a world gone mad. I would so much have loved to bring him up to date on Occupy. I admired him before all others. A true hero in a world bereft".
Qu'est-ce qui pouvait bien attirer Lou Reed et d'autres icônes du rock mondial dans le parcours de Vaclav Havel, ce fils de riches bourgeois (à la tête d'un empire du cinéma et du divertissement dans le Prague de l'Entre-Deux-Guerres) privé d'études par les communistes et n'ayant trouvé son salut dans le théâtre que par l'exercice de boulots de régisseur, avant de voir ses pièces anticonformistes jouées à la faveur du Printemps de Prague?
Précisément, lorsqu'en 1968, le rideau de fer s’entrouvre fugacement en Tchécoslovaquie, Vaclav Havel en profite pour gagner New York, où l'on joue l'une de ses œuvres à l'Université de Columbia. On raconte que c'est alors qu'un ami lui met entre les mains le premier album culte d'un nouveau groupe baptisé le Velvet Underground, et dont la jaquette s'orne d'une banane phallique signée Andy Wharhol (lui-même originaire de Slovaquie).
De retour au pays, Vaclav Havel voit la parenthèse s'achever par l'invasion soviétique. Au cours des deux décennies suivantes, reclus dans un exil intérieur, celui-ci fait de sa maison de campagne en Bohême l'un des atolls de l'archipel de la dissidence. Plasticiens, dramaturges, musiciens, toute une "cité parallèle" s'organise dans l'underground tchèque, se jouant des persécutions du régime. Havel accumule une discographie de contrebande où le Rock tient le haut du pavé.
Directement inspirés du Velvet, les membres du groupe The Plastic People of the Universe, dont les paroles sont le fait d'un poète de renom, sont harcelés par les autorités, au point qu'en 1977, un meeting de soutien au groupe contribuera à la naissance de la Charte 77, le principal mouvement dissident en Tchécoslovaquie... Aux côtés de Reed, les Rollingstones et Frank Zappa deviennent la bande son d'une génération d'opposants.
Directement inspirés du Velvet, les membres du groupe The Plastic People of the Universe, dont les paroles sont le fait d'un poète de renom, sont harcelés par les autorités, au point qu'en 1977, un meeting de soutien au groupe contribuera à la naissance de la Charte 77, le principal mouvement dissident en Tchécoslovaquie... Aux côtés de Reed, les Rollingstones et Frank Zappa deviennent la bande son d'une génération d'opposants.
Décembre 1989 : sorti de prison quelques mois plus tôt, Vaclav Havel, porte-parole de la Charte 77, est élu Président par une assemblée communiste désemparée. Dès 1990, Lou Reed reçoit une commande de Rollingstone Magazine : en tête de la liste des personnes auxquelles le très populaire leader de la Révolution de velours concéderait volontiers une interview, tous médias confondus, figure "Lou Reed, Chanteur. Nationalité : américaine"...
Affligés de la même timidité, les deux hommes se tournent autour un bon moment : Havel a honte de recevoir son idole dans ses habits de Président et dans un Château de Prague encore lesté de la pompe communiste. Reed se sent illégitime face à celui qu'il considère depuis plusieurs années comme un héros... puis la conversation se fait plus fluide lorsqu'ils abordent ensemble les thèmes de la poésie, des oeuvres de jeunesse et enfin, du Rock'n Roll. Après un silence, Havel sort cette phrase qui scellera leur amitié : "M. Reed, savez-vous au moins que c'est grâce à vous que je suis Président?"...
La même année, Reed, tout comme les Rollingstones et Frank Zappa, donnent des concerts à Prague, que tous retiennent parmi les moments phares de leurs carrières sur scène. Ils reviendront à plusieurs reprises (Reed notamment en 2005 et 2006, les Rollingstones pour un concert programmé lorsque Havel achève son dernier mandat de président, en 2003).
Entre temps, en 1998, Reed a fait une entorse majeure à son éthique de vieux routard du punk : à la demande de Havel, reçu à la Maison Blanche, il accepte de jouer devant les Clinton, Gore et autres Kissinger... et lorsqu'un journaliste outrecuidant lui fait remarquer, Lou Reed troque son ton acerbe pour un presque enfantin "pour lui, je jouerais sur la Lune".
S'il est admis d'ordinaire que la révolution de 1989 en Tchécoslovaquie fut baptisée "de velours" car elle ne fit pas verser de sang, Havel livra lui-même une autre explication dans un entretien avec Salman Rushdie, en 1999, dans lequel il souligne son admiration pour le Velvet Underground : "Why do you think we called it the Velvet Revolution?".
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