jeudi 31 janvier 2013

La Villa Tugendhat : le palais de verre de Mies Van der Rohe

La restauration de la Villa Tugendhat conçue par Mies Van der Rohe en 1929 (à Brno, Tchéquie) et entamée en 2010, dura deux longues années au cours desquelles j'ai guetté avec impatience la date de ré-ouverture.

Mais cette maison méritait bien l'attente! Et surtout,  qu'on lui accorde l'attention et le soin nécessaires vu les chamboulements de son existence : ayant souffert des bombardements de la seconde Guerre mondiale (baies vitrées cassées, pillage par les Allemands), des différents usages du bâtiment par les communistes (elle fut successivement étable, centre de réhabilitation pour enfants, école de danse) et d'une restauration hâtive au milieu des années 1980...

Cette année, j'avais donc hâte de visiter le lieu, surtout après la lecture du roman  Le Palais de verre de Simon Brawer (Editions du Cherche Midi), inspiré de la vie des propriétaires (le couple Tugendhat) mais dont le personnage principal est indiscutablement cette maison fonctionnaliste, patrimoine mondial de l'Unesco.



Ma visite fut donc plus que purement esthétique, en me remémorant les extraits de cette fresque historique qui mêle faits réels et sentiments et croise la vie des vrais acteurs- Mies Van Der Rohe et Greta and Fritz Tugendhat (un grand industriel textile juif tchécoslovaque), à ceux du roman : Rainer Von Abt et de Liesel et Viktor Landauer.

Je pus ainsi mieux ressentir l'histoire de la Villa, plonger dans la Tchécoslovaquie de 1920, dans un milieu privilégié où un couple de jeunes mariés confie la construction de leur future maison à un architecte allemand adepte de Loos, Mondrian et du groupe d'artistes hollandais De Stijl. 

Les Landauer ne veulent pas « d'une maison qui aura l'air d' une forteresse, tout en tourelles, flèches et fenêtres gothiques (... )Nous sommes au XX siècle, mon Dieu, pas au XIV ! Le monde change. »

« Le Palais de verre » Simon Waver , Edition du Cherche Midi


Rainer Von Abt, conçoit alors pour eux avec passion et minutie un « palais de verre », de lignes droites, de lumière et de transparence, symbolisant le progrès et leur confiance dans l'avenir : tel que Liese l'exprime en rentrant pour la première fois dans la maison : « On se sent si libre, débarrassé de toute contrainte. Cette sensation d' espace, que tout est possible».


« Le Palais de verre » Simon Waver , Edition Cherche Midi




C'est le reflet d'une période un peu euphorique, mondaine, voulant couper avec un passé lourd et tragique, marqué par la Première Guerre Mondiale : jazz, avant-gardes, architecture moderne... C'est aussi la définition d'une nouvelle entité : la République tchécoslovaque, née en 1918.

« Pour le moment, il n'avait ni forme ni consistance, mais il existait déjà, diffus, polymorphe, dans leur esprit et dans celui de Rainer von Abt. Il existait à la manière des idées et des idéaux, fluctuant et abstrait. Espace, lumière, verre; peu de meubles; fenêtres s'ouvrant sur le jardin; un revêtement de sol étincelant, du travertin, pourquoi pas; du blanc, de l'ivoire, le lustre du chrome.

Ces éléments changeaient, évoluaient, se modifiaient, se métamorphosaient comme dans les rêves où les formes, bien que variables, gardent leurs caractéristiques essentielles pour le rêveur: der Glasraum, der Glastraum, une seule lettre qui suffisait à transformer l'espace de verre en un rêve de verre, un rêve qui s'accordait avec l'esprit du tout nouveau pays dans lequel ils vivaient, un État où il importait peu d'être tchèque, allemand ou juif, où triomphait la démocratie, et où l'art et la science s'associaient pour garantir le bonheur de tout un peuple».

« Le Palais de verre » Simon Waver , Edition Cherche Midi




Le cœur de la Villa est effectivement cette pièce en verre, transparente liant l'extérieur et l'intérieur (le jardin devenant une prolongation de la maison) avec des grandes verrières captant la lumière et l'espace :

« Il y avait des fois où la nuit tombée, Viktor laissait les rideaux ouverts si bien que les baies devenaient des miroirs reflétant la pièce, les fauteuils, la table, le mur d' Onyx, le tout se dédoublant dans l'obscurité. »

« Le Palais de verre » Simon Waver , Edition Cherche Midi

Une maison cubique, minimaliste, moderne où l'ornementation est bannie, où le verre et une charpente en acier translucide remplacent les murs, où les espaces sont délimités par un rideau en soie, une cloison en bois de Macassar ou un mur d'onyx...




Car même si toute notion décorative est rejetée, Mies Van der Rohe, est sensible aux avancées techniques et à la qualité des matériaux (héritage familial : Mies Van der Rohe étant fils de tailleurs de pierre) et ses choix sont souvent onéreux...

Les travaux de la Villa Tugendhat (Landauer dans le roman) seront entamés par Mies Van der Rohe en 1929 et terminés à la fin de l'année 1930. Au même moment, ce dernier construit à Barcelone le Pavillon allemand de l'Exposition universelle de 1929  pour représenter les idéaux de progrès, de transparence et d'ouverture de la République de Weimar.




Des points communs lient les 2 bâtiments : le concept de plan libre, (les murs sont libérés de leur fonction de murs porteurs et servent à délimiter les espaces, selon leur fonction, sans cloisonner pour autant), les formes sont simples et les matériaux précieux. Et on retrouve un mur d' onyx...

«Von Abt pouvait se montrer immodéré, parfois, avec ses fioritures spectaculaires, ses discours sur l'espace et la lumière, les volumes et les poussées (...)Debout, au milieu des ombres, il vantait les vertus de son idée, décrivait le marbrures complexes de la pierre, sa transparence, ses reflets délicats entre le miel et l'or »

« Le Palais de verre » Simon Waver , Edition Cherche Midi

Le mur d'onyx, une variété d'agate très fine et précieuse, devait donner de la vie à la pièce de verre en captant les rayons de soleil, en projetant la lumière sur les meubles, les murs, le sol. Et effectivement :

«Une fois en place la pierre sembla prendre possession de la lumière pour la bloquer, la renvoyer, la réchauffer d'une main douce et féménine et puis à l'heure où le soleil se couchait sur la forteresse de Spilas et où il dardait ses rayons directement sur la pierre, le mur se mettait à flamboyer... »
« Le Palais de verre » Simon Waver , Edition Cherche Midi




Dans le roman on voit l'importance qu'accorde l'architecte au fait de pouvoir décider seul de l'ensemble du projet, les plans bien sûr mais aussi la décoration intérieure : afin de maîtriser « son oeuvre », atteindre sa vision de l'harmonie. Ce qui parfois génère pourtant des légères frictions entre lui et les Landauer... Mais le résultat est le suivant:

« Elle n'aurait pu le dire autrement : perfection. Proportions, luminosité, humeur et attitude parfaites. La beauté faite manifeste ».

« Le Palais de verre » Simon Waver , Edition Cherche Midi


Dans ce cocon protégé, Liese a dû mal à pendre conscience de la gravité des troubles politiques de cette période de l'Entre-deux-guerres. Viktor, son mari, ressent plus vite la menace : l'ascension d'Adolf Hitler et la récession. Leurs idéaux, leur couple et leur confort matériel  vont être mis mal par les bouleversements de l'histoire... Leur maison, symbole d'équilibre et d'harmonie n'arrivera pas à les "protéger" (ils n' y vivront au final que 8 ans) et ils perdront les acquis qu'ils pensaient éternels. 

Leurs espoirs d'un avenir qu'ils n'imaginaient que meilleur sont brisés.

Ils réussiront à fuir les Nazis, mais seront dépossédés de leur maison qui deviendra tour à tour laboratoire sous l'occupation allemande et gymnase sous les communistes. 

Mais la Villa fera face aux événements et même abîmée, bousculée, saura rester un repère intemporel...




Dans les faits réels, Greta Tugendhat retournera à la Villa en 1967 (classée monument culturel en 1963) accompagnée d'un élève de l'Ecole de Chicago, pour apporter de la documentation et expliquer sur place le plan original: ses dessins et photos seront minutieusement étudiés lors de la restauration de 2010 afin de mettre en valeur ce symbole de l'architecture moderne et les revirements de l'histoire.

Curieux méandre: cette Villa conçue pour traduire l'élan de la nouvelle Tchécoslovaquie sera le cadre choisi pour la signature du « Divorce de velours » entre Tchèques et Slovaques, en 1992.

Voilà  ce qu'évoque pour moi, la Villa Tugendhat à découvrir le Palais de Verre sous le bras !




Et en attendant que Lego décide d'enrichir sa collection (de monuments architecturaux du XX siècle) avec la Villa Tugendhat, la villa Farnsworth de Mies Van der Rohe est mon joli lot de consolation. Ainsi que ma chaise faux lignes Bauhaus "Mart Stam"!

Crédit photos // SLAVIA VINTAGE


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